31.10.06

Blindé…

Merci à tous ceux qui me témoignent des messages de soutien ou qui réagissent sur ce blog. Je ne réponds pas systématiquement aux questions qui me sont posées. Manque de temps surtout… En ces temps troublés, ce blog est comme un bar après minuit où on vient boire un dernier verre. Disons que je suis le barman et que je glisse deux ou trois confidences… Une question m’est souvent posée : «Pourrais-tu donner ta version de cette controverse concernant la falsification d'un listing de la part d'Imad LAHOUD, S'il te plaît ? Où es la vérité ? En tous cas, où la situes-tu sur ce cas précis ? »

Je vais y répondre, mais avant, j’aimerais revenir sur ce qui vient de se passer.
J’étais ce week-end au festival du film italien de Villerupt, membre du jury. C’est là bas que j’ai appris les réquisitions du parquet de Paris demandant ma mise en examen pour recel d’abus de confiance dans l’affaire dite « du corbeau » qui hante les couloirs de la République. Comme ceux qui n’habitent pas la Lorraine ne le savent sans doute pas, je suis archi tricard dans les deux quotidiens régionaux, l’Est Républicain et le Républicain Lorrain… Mes livres ne sont jamais évoqués, mes films non plus… On va même jusqu’à effacer mon nom des programmes télé quand par hasard l’un de mes films passe sur Canal ou Arte… Passons…. Donc, dimanche, c’est par Laïd Sammari, éminent rédacteur de l’Est que j’apprends ma future mise en examen. C’est à lui que je dois déjà d’avoir eu connaissance de l’inénarrable PV de Plénel devant les juges publié également en exclusivité dans l’Est. Sam est très branché sur ce dossier. C’est une vieille connaissance… Il semble toujours éprouver un malin plaisir à m’appeler (généralement très tôt) pour m’annoncer des mauvaises nouvelles. Rarement les bonnes… Je ne lui en veux pas. Il faut bien s’occuper le dimanche.
Ce genre d’information (une mise en examen pour un motif pareil) a tendance à me plonger dans une immense perplexité. Mon premier réflexe est de me m’en pas soucier. C’est un peu comme les mouches qui s’écrasent sur les pare-brises. Un coup d’essuie-glace et on y voit plus clair… Je ne suis pas d’un naturel inquiet surtout quand je sais d’où ça vient et ce que j’ai fait… Je me suis blindé… Pourtant, une étape supplémentaire dans la bêtise, la collusion entre pouvoir financier et politique et le cynisme vient d’être franchie…

D’abord une anecdote…

Si l’Est ou le Républicain Lorrain censurent mes livres, dès qu’une embrouille profile à l’horizon, j’ai droit à la photo, aux cinq cols et souvent à la une… Ce genre de hiérarchisation de l’information est surtout gênant pour ma famille ou mon entourage, les voisins, les commerçants… Quand vous les croisez, on a l’impression que leurs yeux se transforment en oranges… Vous savez, celles qu’on amène aux détenus… Faut toujours expliquer, dire que ce n’est pas grave… Souvent, vos explications ne servent à rien.
J’étais donc membre du jury du festival du film italien de Villerupt… Le Répu a normalement tu cette information non fondamentale… L’Est, plus professionnel, a envoyé un photographe et un reporter couvrir l’événement. Donc, vendredi, séance photos des quatre membres du jury pour le lancement du festival. Je me mets dans un coin et me fais flasher… Le dimanche, j’ouvre l’Est… Photo en une annonçant ma mise en examen (tronche de violeur de petite fille), grand papier en page France… Et…Papier en page Région avec photo des membres du jury pour le festival… Là, divine surprise ! J’ai disparu… Ils ne sont plus que trois sur la photo… Alors que la rédaction de l’Est dormait d’un juste sommeil avec la conscience tranquille d’une journée supplémentaire consacrée à l’information du citoyen, un censeur masqué armé de grands ciseaux, longeant les murs, est allé me tailler le portrait… Après rapide enquête, je sais parfaitement de qui il s’agit. Je ne pensais pas qu’à sa place dans la hiérarchie de ce journal, on se compromettait à ce genre de bassesse. A sa place, j’aurais (un peu) honte. Mais passons… Donc, le parquet de Paris veut me faire mettre en examen pour recel d’abus de confiance. Je m’en explique dans l’interview accordée à l’Obs que vous pouvez consulter plus bas…
Rien n’est dû au hasard dans cette affaire. Jamais.


Le libellé « recel d’abus de confiance » est étonnant… Clearstream, et son armée de juristes et d’avocats, avaient cru bon de se constituer partie civile dans le dossier du corbeau et de chercher à nous coincer sur le thème « du vol et recel de vol de secret bancaire ». Ils se sont rendus compte, pour des raisons de prescription, que ce motif ne tenait pas… Ils se sont donc creusé la tête… Je dis « ils » car je mêle ici Clearstream et le parquet de Paris…Les avocats de la banque des banques ont forcément consulté les magistrats… Des intérêts communs sont vraisemblablement nés… Pour Clearstream, la question est toujours la même : comment coincer Denis Robert et son nouvel informateur l’informaticien Florian Bourges ? Pour le Parquet, courroie de transmission de la Chancellerie et de Matignon, la question pourrait être : comment inventer de nouveaux rideaux de fumées dans cette affaire ?
Là intervient un nouvel acteur qui, visiblement, ne demandait rien à
personne : le cabinet d’audit Barbier Frinault. On est allé les chercher pour déposer plainte contre nous. L’histoire est particulièrement tordue. On constate que des magistrats, au Parquet de Paris, se font les complices d’une stratégie très agressive et très acrobatique à notre égard. Florian Bourges était un de mes informateurs dans mon enquête sur Clearstream. Ecœuré de voir que ses supérieurs chez Arthur Andersen ne prennent pas en compte ses rapports révélants des anomalies informatiques à répétition lors de l’audit effectué dans le cadre de sa mission à Clearstream, il me contacte. Et me remet des pièces compromettantes pour la multinationale. Entre autres, ces fameux listings qui font couler tellement d’encre aujourd’hui…
Je les utilise dans « la boîte noire » et dans notre film « l’affaire
Clearstream ». Ces listing répertorient 33000 références de comptes ouverts à partir de la multinationale à Luxembourg sur toute la planète. Ils donnent une incroyable cartographie de la finance mondiale, en particulier celle qu’on ne montre jamais : la finance parallèle.
Grâce à ces listings, on constate que des milliers de comptes sont ouverts
dans des paradis fiscaux par Clearstream. Sur 106 pays représentés, plus de 40 sont des paradis fiscaux. Les documents de Florian montrent aussi que toutes les banques honorablement connues –BNP,Crédit lyonnais, Société générale, etc- ont toutes des filiales dans des paradis fiscaux… Ils montrent également, de manière éclatante, que la firme ment quand elle indique n’avoir que des clients honorables…

Et ce n’est pas tout. Le témoignage de Florian en tant qu’auditeur d’Arthur Andersen vient crédibiliser celui de Régis Hempel l’ancien chef de l’informatique qui assure que la firme effaçait des transactions pour en dissimuler la provenance ou la destination…

Voilà, la première utilité des listings de Clearstream… Voilà pourquoi je les ai publiés… Voilà pourquoi mes livres sont gênants pour les banques et pour Clearstream… Voilà pourquoi je suis susceptible de me prendre trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende (selon Reporters sans frontières). Voilà l’essentiel…
Ensuite, évidemment (pour répondre à la question de l’Internaute), Lahoud
et-ou Gergorin trafique(nt) ces listings en y ajoutant des noms. Florian et moi n’avons strictement rien à voir là dedans. C’est nous qui révélons l’arnaque dans mon livre Clearstream, l’enquête. Et c’est Florian, seul, en conscience, sans que je cherche à l’influencer, qui décide de parler aux juges.

Le reste, c’est du vent. De la mauvaise littérature.

Le reste, c’est la stratégie du parquet et de Clearstream qui vont donc chercher ce cabinet d’audit dont je rappelle le nom Barbier Frinault. Pourquoi eux ? Parce qu’Arthur Andersen, l’employeur de Florian, l’auditeur de Clearstream, a trempé dans la sale affaire Enron et a été mis en liquidation… Parce que Barbier Frinault sont les repreneurs des vestiges et du nom d’Arthur Andersen… Ils n’ont évidemment subi aucun préjudice direct de notre part… Je sais, parce que je me suis renseigné, qu’ils n’avaient aucune envie d’être cités dans ce dossier, que leur job (audit, expertise comptable, bureaux à Neuilly) demande d’abord de la discrétion… Pourquoi prendre le risque de sortir ainsi du bois aujourd’hui ? Pourquoi participer à l’édification d’une procédure aussi perfide ? Pourquoi entre dans ce jeu ?

Pourquoi permettre au parquet de lancer cette procédure pour abus de confiance ?

Je vous laisse méditer…

L’abus de confiance et son recel sont moins prescriptibles que le vol de secret bancaire et son recel.
Voilà le sens de la demande de mise en examen du parquet et du pouvoir
politique. Voilà à quel jeu se prêtent des magistrats. J’ai appris ce matin qu’un texte collectif a été écrit par des journalistes, des éditeurs ou des producteurs, dont tous ne sont pas des amis. Ils s’indignent de ces pratiques qui montrent un degré de perversion jamais atteint. Ils disent à quel point le combat pour la liberté d’informer est en jeu dans ce bras de fer initié par le pouvoir politique. J’en suis très heureux. Je suis également satisfait de voir que Reporter sans frontières s’est manifesté. Je ne suis pas le marginal isolé qu’aimeraient beaucoup que je devienne les marionnettistes de l’affaire Clearstream. Je trouve que le Parquet de Paris et son représentant Jean Claude Marin, le garde des Sceaux Pascal Clément et le Premier Ministre Dominique de Villepin, forcément associés dans cette atteinte grave à la liberté d’écrire et de penser, ont cette fois poussé le bouchon, très loin. Trop loin. Il faut se croire vraiment intouchable à vie, il faut être très cynique et très peu soucieux de justice et de démocratie, pour se lancer dans une pareille bataille. Rien de ce que ces trois tristes personnages viennent de monter dans ce petit trafic n’est honorable.

DR
31l10l06

Interview de Denis Robert dans le Nouvel Obs, suite à sa mise en examen, à lire...

>cliquez ici

25.10.06

Ce que cache l’affaire Plénel

Quand j’étais enfant, on était dans une école où l’instituteur mélangeait les classes. On n’était pas assez nombreux au village. Quand je suis arrivé en CE1, je suis tombé sur André la moustache. Ce gars-là m’a pourri la scolarité. Il était en CM1. C’était une petite frappe dont les parents friqués faisaient tout pour qu’il réussisse. Il était bon en calcul et premier en rédaction. J’avais deux ans de moins que lui mais rapidement, l’instituteur a découvert que, malgré mon jeune âge, je me débrouillai plutôt bien… Le jour où il s’est mis à lire ma rédaction à haute voix, j’étais plutôt fier. Toi tu seras écrivain, me disait l’instituteur. André la moustache en était vert de jalousie. Il avait un souffre douleur plus petit, Hervé la banane qui était dans ma classe… A eux deux, ils m’ont fait les pires vacheries qu’on puisse imaginer… Vol de goûter, bagarre à la récré, livres déchirés… Je me souviens qu’un jour où j’avais eu 10 sur 10 en dictée, Hervé la banane était allé me dénoncer au prof à cause d’une faute d’accent qui m’avait valu un demi point en moins. André la moustache l’avait poussé à le faire. Ces crétins étaient toujours à deux contre un. Je pensais en avoir fini avec eux en quittant le CM2, mais je les ai retrouvés sur ma route au collège, puis au lycée… Pneus de vélos crevés, vol de carte de bus, dénonciation anonyme parce qu’on fumait au foyer : je les soupçonne d’être derrière toutes ces saloperies... C’est difficile de comprendre pourquoi quelqu’un ne vous aime pas… André la moustache s’intéressait à Trotski et aucune fille ne voulait sortir avec lui parce qu’il était trop chiant et qu’il avait une moustache. Pour Hervé la banane, la vie était encore plus dure parce que les filles se moquaient carrément de sa petite taille et de ses boutons. Moi, je passais mon temps dans les boums à rouler des pelles et j’avais toujours vingt sur vingt en philo. C’est peut être ce qui les faisait baver de rage… Les années ont passé et je les ai perdus de vue…
Ce matin, ils ont réapparus tels des sceptres faméliques. L’affaire s’est déroulée en trois temps… Je regardais tranquillement Oui-oui avec mon fils, quand il m’a semblé les voir réincarnés en Finaud et Sournois, les vilains lutins du dessin animé qui passe tous les jours sur France 5. Puis j’ai zappé et suis tombé sur Hervé Gattégno du Monde qui parlait de l’affaire Clearstream où il fait beaucoup d’effort, surtout dans son dernier livre pour atomiser mon travail. Depuis le début, ce gars-là se sert de son journal pour faire ou faire faire des articles assassins sur moi et personne ne lui dit jamais rien. Ensuite ses papiers servent à l’avocat de Clearstream pour bâtir ses plaintes. Et personne ne dit jamais rien. Normal, il est salarié dans un grand journal et fait peur à tout le monde parce qu’il peut rouler ses petits muscles et écrire des papiers fielleux n’importe quand sur n’importe qui. C’est son truc à lui, faire peur aux autres... Rigoler en coin, jouer au type qui sait tout et balancer un pv qui vous plombe. Faut bien vivre et nourrir son ego… Je connais cette maladie. J’ai failli la contracter, mais j’ai su la voir venir.

Donc, après Sournois, Finaud…

En arrivant à mon bureau, j’ai appris que son ancien chef et mentor Edwy Plénel avait fait ce week end une énième chronique sur moi dans le journal belge Le Soir. Plusieurs copains bruxellois qui avaient lu mes livres m’ont appelé pour râler : Je ne comprends pas, il est fou ce mec… Tu ne peux pas laisser faire… Tu devrais porter plainte…

La moustache de Plénel et ses tirades de joueur de flûte ne m’ont jamais impressionné. Pour tout dire, je pense que Plénel est un usurpateur, un opportuniste, une sorte de kapo sans foi ni loi, très doué pour le baratin et pour monter des coups. En lisant sa prose haineuse dans le Soir, disons que tout m’est revenu… Le lycée, mon instituteur, le vélo crevé, les papiers du Monde sur Clearstream, mes procès … Si l’on ajoute une moustache à Finaud, le méchant lutin roublard du dessin animé Oui-oui, on tombe pile poil sur Edwy… Ce type me hait et me calomnie depuis une dizaines d’années sans que je comprenne bien pourquoi.

Jusqu’à présent, j’avais choisi de me taire.

Mais en ce moment, nos itinéraires se croisent un peu trop souvent. Je ne vais pas développer ici le problème posé par son arrivée à Libération. Je le ferai plus tard et en d’autres lieux si on nous en donne l’occasion. Mais disons pour faire court et puisque les Inrocks en ont parlé qu’avec quelques amis, nous travaillons sur un projet concurrent du sien. Un journal de culture et d’enquête, premier quotidien de l’infosphère... Nous sommes à la recherche de financement… Pour moi qui connaît l’histoire du journal pour y avoir vécu avec bonheur une douzaine d’années, l’arrivée de l’ex directeur du Monde à Libé est la pire chose qui puisse arriver au titre qui va déjà mal. Ce n’est pas seulement sa personnalité qui pose problème (rigide, dictatorial, très politique, ayant fait plonger le Monde) c’est ce qu’il propose : conservation de l’équipe, vieille recette, journal politique anti-Sarkozy, fondé sur la rivalité avec ses anciens collègues Minc et Colombani (qu’il honnit presque autant que moi aujourd’hui)… Avec Plénel, c’est (entre autres) tout ce qui fait encore un peu le charme de Libé qui disparaît : l’humour, la fantaisie, la surprise… Je pense que sa chronique belge truffée de contre-vérités n’est pas étrangère à mon opposition publique à sa reprise de Libé.

Je sais qu’on va dire que je cherche à régler des comptes mais avec quelques amis, nous avons réfléchi à la reprise de Libé bien avant que Plénel ne fasse son show.
Je voudrais ici, tranquillement, mettre les choses au point. Je ne vais pas énumérer toutes les crasses que m’a faites Plénel ces dernières années. Simplement en aligner quelques unes pour montrer aux lecteurs du Soir, et aux autres ce que, sûrement, ils ne savent pas.

En juin dernier, sans que personne ne lui demande rien, l’ancien directeur de la rédaction du Monde s’est constitué partie civile dans le dossier Clearstream. Ce qui est son droit puisqu’il fait partie des noms couchés par le corbeau dans les bénéficiaires de comptes bidons. Je rappelle que c’est mon dernier livre Clearstream, l’enquête qui l’a révélé. Plénel est donc allé me dénoncer aux juges d’Huy et Pons en livrant « ses impressions ». Selon lui, j’aurais poussé Imad Lahoud à mettre son illustre patronyme dans les listes. Extrait : « Je ne sais pas qui a mis mon nom et je n’accuse personne. Je rappelle simplement ce contentieux avec Denis Robert, qui me semble lui aussi être passé du réel à la fiction. A chaque étape du scénario du corbeau, l’enquête initiale sur Clearstream est présente. Imad Lahoud rentre en contact avec Denis Robert, Denis Robert met en contact Florian Bourges avec Imad Lahoud et le juge Van Rumbeke tente de comprendre Clearstream en s’adressant à Denis Robert »… Deux pages de pv de pure calomnie (consultable sur le site de l’Obs) qu’il reprend en partie dans sa chronique. Heureusement que nous ne sommes pas en période de guerre, sinon j’étais bon pour l’échafaud… Plénel le sait bien : il n’y a pas plus dévastateur que la rumeur. Et lui ne fait que ça avec moi : colporter des rumeurs. Jamais, même avec mon pire ennemi, je ne me serai permis de faire cette saloperie dans un cabinet d’instruction. Et personne ne dit rien. Une icône (certes fatigué et à la retraite) du journalisme va me dénoncer chez les juges et tout le monde trouve ça normal… Où est la morale là dedans ? Où est le journaliste ? La déontologie ? Ce n’est que délation et puanteur.

Juste avant, Edwy la moustache s’était déjà répandu dans tous les médias pour dire que mon enquête sur Clearstream était un fantasme, que j’étais gentil mais un peu naïf. J’en passe et des pires. Je l’ai entendu me cracher dessus avec ce ton insupportable de vieux prof sur les ondes de France Culture ou d’Inter. Pourtant, juré, craché, je ne lui ai jamais rien fait. Je ne lui ai jamais rien demandé. Je ne me suis jamais moqué de lui.

Là ce matin, en lisant sa chronique dans le Soir –, style ampoulé, tirage à la ligne, formule creuse, référence biblique, autosuffisance- je constate que sa morgue et sa méconnaissance du dossier Clearstream sont intactes. Plénel est un radoteur paresseux. Il rabâche toujours les mêmes insanités même si cette fois, il est monté d’un cran. Il le fait de Belgique et joue à l’exilé. Titre de l’œuvre sous sa photo « Ce que cache l’affaire Clearstream ».

«Nul n’est prophète en son pays. Biblique l’expression convient à cette chronique déplacée, heureuse bénéficiaire du droit d’asile belge » démarre Edwy qui se la joue sans papier avant de décréter l’absence d’affaire Clearstream… «Elle commence autour d’un livre prétendant apporté des révélations définitives –c’était son titre Révélation$- sur cet établissement financier luxembourgeois. Je professe qu’il n’y a jamais eu d’affaire »
Qui est-il pour ainsi professer ?

«Sans l’invention probablement de bonne foi d’une fausse affaire Clearstream, il n’y aurait pas eu de faux listings bancaires » tranche Plénel. Autrement dit, tout se monte sur du vide… Des centaines de gens –des ministres, des agents secrets, des marchands d’armes, des magistrats- se seraient lancés dans une course folle et délirante. Seul lui, Edwy aurait vu juste. Il se réfugie en Belgique pour le dire.
On serait franchement mort de rire si le futur ex patron de Libé (ça me fait de la peine d’écrire cette ligne ) ne persévérait plus perfide que jamais : « On trouve au départ un journaliste (il parle de moi et cite mon nom entre parenthèse, on sent que ça lui fait mal) et un éditeur (les arènes) qui croient avoir un scandale… Leur démonstration ne tient pas la route. Des vérifications élémentaires –je peux en témoigner- suffisent à l’infirmer» jure Edwy avant de monter sur ses talonnettes : « Mais ce qui ne se prouve pas n’existe pas, du moins du point de vue journalistique. Et ce qui ne se source pas, honnêtement, rigoureusement et contradictoirement n’existe pas non plus »

Après, sa diatribe devient carrément insupportable quand on connaît le passé du gaillard : « C’est un avertissement qu’il faut toujours avoir en tête dans une enquête : on peut avoir politiquement raison et journalistiquement tort. Sinon la conviction idéologique suffirait à dire le réel et le vrai ». Plénel ressort ensuite, après avoir confié toute l’estime qu’il portait à Villepin ou à Giesbert (grand premier ministre, grand patron de presse), son numéro éculé nous accusant de faire dans la théorie du complot, trichant sur chaque mot, inventant une légende mêlant les délires du corbeau avec notre travail, faisant mine de confondre mes romans et mes enquêtes.

Est-il utile de me justifier ? Il suffit de faire ce que Plénel n’a jamais fait : ouvrir mes livres, regarder mes films, lire les jugements qui me sont favorables. Ne pas déformer ce que j’écris.

La spécialité de Plénel c’est de donner des leçons de journalisme. Il est super mal placé pour le faire. Sa légion d’honneur, c’est l’affaire Rainbow Warior où une fois que vous savez que François de Grossouvre l’a cornaqué, vous avez tout compris… Il s’est contenté de recracher et d’enrober ce que lui glissait l’âme damnée de Mitterrand. Il l’a fait plutôt bien d’ailleurs. A sa place j’aurais été plus rapide et plus précis mais bon… A part ça ?… Quand j’étais à Libé et que son journal et le mien étaient concurrents sur le terrain des affaires mettant en cause les balladuriens ou les socialistes, nous lui avons mis des dizaines de unes dans la vue. J’étais en concurrence directe avec lui et Gattégno. Neuf fois sur dix, Libé sortait des scoops avant le Monde. Leur animosité à mon égard vient peut être de là… Franchement, je cherche…

À part ça ? Rien…

Ah si, Plénel joue à la star dans les journaux télévisés et sur les plateaux télé parce que Mitterrand l’a placé sur écoute. Il en a fait des livres et des conférences. On m’a largement autant écouté que lui et on m’a même perquisitionné sans que j’en fasse des tonnes. Plénel en fait des tonnes. Il est sans arrêt dans la posture du journaliste professeur. Il vient d’ailleurs par décret ministériel et donc appui forcément politique et forcément à droite et vraisemblablement chiraquien d’être nommé professeur d’université à Montpellier. Une dépêche l’a annoncé la semaine passée. Plénel est ami avec Villepin, pote avec Hollande. Plénel est-il encore journaliste ? On peut vraiment en douter. Il peut faire illusion à Libé devant une minorité (j’espère) de salariés prêts à tout pour sauver les meubles, des hiérarques du PS inquiet de sa capacité de nuisance, ou à l’université de Montpellier devant des cancres sans mémoire. Ailleurs, j’en doute… Même en Belgique…

Plénel est un donneur de leçon. Si j’avais bidonné ne serait qu’un dixième de ce que lui a bidonné quand il s’occupait d’enquêtes au Monde, je pourrais admettre la critique. Là, non. Que me reproche Plénel depuis cinq ou six ans qu’il distille sa bile sur mon compte et qu’il nourrit les attaques de Clearstream contre moi ? Une erreur dans l’interprétation d’un sigle… J’ai cru que le compte DGSE ouvert par la banque de France à Clearstream était un compte des services secrets. 5 lignes sur 400 pages. Je me suis peut être trompé. Mais venant de lui qui avait dénoncé, le financement du PS par Panama, c’est dramatique. Je sais que les journalistes sont sans mémoire mais il suffit de taper sur Google, Panama et Plénel.

Le 27 août 1991, le Monde annonce en une un scoop " Scandale à Panama ". Plenel raconte comment le général Noriega aurait financé le Parti socialiste français, en particulier pour amener Mitterrand au pouvoir en 1988. Des lettres sont produites, à en-tête de l’ambassade de France à Panama. Le PS démentira très vite. Le Monde patine alors dans la semoule. Plenel se terre. On lui retirera l’enquête. Les lettres s’avèreront être des faux grossiers. Le rectificatif tombera dix jours plus tard. Le Monde exprime son " regret " d’avoir publié des " informations non vérifiées ". Dans son livre dans Le Pouvoir du Monde, paru en 2003, Bernard Poulet note que Plénel fera publier plus tard ses articles dans un livre sans reconnaître son erreur : "Il y reproduit notamment l’article malheureux, amendé, sans dire qu’il s’est trompé, mais tout en expliquant qu’il s’agit d’un "supposé scandale ». Tout Plénel est ainsi résumé. Têtu. Obsessionnel. Ne supportant pas qu’on lui fasse de l’ombre. Ce personnage vient aujourd’hui me donner des leçons et veut faire de Libé son instrument de reconquête de notoriété…

C’est incroyable que je sois le seul à le dénoncer et à trouver la ficelle énorme !

Sur ses accusations à mon encontre répétés des dizaines de fois dans tout Paris, et maintenant tout Bruxelles, que dire ? Je n’ai jamais prétendu apporter des révélations définitives. Au contraire, je cherche, je tâtonne, j’invente et parfois je trouve. Avec Clearstream, j’ai trouvé. Pas du tout la plus grande lessiveuse d’argent sale du monde comme l’écrit bêtement Plénel mais un outil de dissimulation qui sert à des milliers de clients sur la planète. Je fournis des preuves, des centaines de comptes ouverts dans des paradis fiscaux (je donne leurs numéros, leurs dates d’ouvertures), des microfiches. J’apporte des dizaines de témoignages que je filme et que j’enregistre. Tout l’état-major de Clearstream a été viré après mon premier livre. Bien sûr, la boîte noire de la finance a obtenu un non lieu à Luxembourg mais en raison de prescriptions. Il suffit de lire les jugements luxembourgeois. Et depuis quand un paradis bancaire est-il un modèle de vertu ?

Mon enquête était honnête, rigoureuse, contradictoire. Et sourcée. La mission parlementaire sur le blanchiment est repassée derrière moi et a entendu des dizaines de témoins supplémentaires. Jamais, je n’ai été pris à défaut. J’ai passé, avec Pascal Lorent, trois années à travailler sur ce dossier. Que fait Plénel du témoignage de Régis Hempel, l’informaticien, qui assure avoir effacé les traces de transactions et qui a gagné tous ses procès contre Clearstream ? Que fait Plénel des dizaines de jugements qui me sont favorables comme celui du TGI de Paris qui juge mon enquête «sérieuse, utile, contradictoire, étayée » et qui a condamné Clearstream à me verser des indemnités. Je suis fatigué de devoir chaque fois me justifier. Je suis fatigué de la mauvaise foi et de l’aveuglement de Plénel, de Gattégno et de quelques autres. J’en ai ras le bol de leurs attaques incessantes. Jamais aucun d’eux n’a été capable de sortir un centième de ce que nous avons sorti avec l’affaire Clearstream. La vraie. Jamais. C’est sûrement ce qui les rend si mauvais et teigneux.

Souvent, les gens un peu informés me demandent ce que je leur ai fait pour qu’ils me poursuivent avec autant de constance et d’agressivité les années passant, je suis bien ennuyé pour répondre. Je ne sais pas. Ils pourraient me laisser en paix. Ce n’est jamais moi qui tire le premier. Ils doivent être jaloux. Je ne vois pas d’autres explications à tant de hargne. Ils sont comme dans une cours de récré. Ils sont André la moustache et Hervé la banane. Ils savent que je suis meilleur qu’eux en enquête, en rédaction, en philosophie, en journalisme. Mes livres se vendent avec un centième des papiers et des invitations de complaisance qu’ils ont dans tous les médias. Mes films sur Clearstream sont depuis une semaine en tête de gondole dans les FNAC. Ça les rend verts de rage. Plénel est dans l’incantation, la fiction, sa fiction. Rien de ce qu’il dit n’est étayé par un début de preuves. Tout ce que j’écris est vérifiable, visible. Lui, pas. Il est dans le complot, la parano et le fantasme. Je suis dans le réel.
DR

13.10.06

* extrait de Dominations de Denis Robert & Philippe Pasquet

9.10.06


8 l 10 l 2006

Je me suis trompé sur un détail dans l’article écrit suite aux dix ans de l’appel de Genève. Je croyais que la presse évoquerait davantage cet événement. Le seul journal a avoir rendu compte de cet anniversaire en France est… l’Humanité Dimanche. Ils auraient pu faire une manchette sur la déclaration de Van Ruymbeke… « Remettre en cause le blanchiment c’est remettre en cause le libéralisme » a lancé le juge. C’est la première fois qu’il s’aventure autant sur le terrain politique.

Demain, Sarkozy passe la journée à Luxembourg à l’invitation du premier ministre Juncker. Personne n’en parlera. Ou si peu. Je n’oublie pas non plus que Laurent Fabius a toujours soutenu ce paradis fiscal quand il était ministre des finances, poussant l’amabilité jusqu’à assister à la remise de la Légion d’honneur de Juncker. Ceux qui ne me croient pas n’auront qu’à jeter un œil sur mon film, l’affaire Clearstream…
Dans l’article sur les dix ans de l’appel de Genève, je fais un parallèle entre la création de pauvreté et les fuites de capitaux vers les paradis fiscaux. Depuis une dizaine d’années, beaucoup de ce que j’écris tourne autour de cette question que résume assez bien un ami journaliste qui vient de m’écrire: « Ton analyse de dire que l'argent dissimulé qui part on ne sait où via des canaux comme Clearstream manque aux SDF et aux travailleurs pauvres, si elle n'est pas fausse, n'est pas assez clarifiée. Si tu veux fonder un modèle explicatif global, il faut à mon avis être plus précis sur ce thème ».
ll a raison…

Il y a une dizaine d’années, j’ai croisé sur le parking de la cathédrale de Metz un sdf qui venait de gagner sa place de rangeur de voitures. C’était un vrai combat de l’obtenir. Il s’appelait Gilles. J’espère qu’il s’appelle toujours. Donc Gilles était à la rue depuis un an. Il avait 40 ans. Il avait travaillé pendant 15 ans dans une usine familiale de la région de Sarreguemines spécialisée dans la réfrigération… Fabrication de container pour camions réfrigérés… L’usine avait une filiale très rentable qui se chargeait aussi d’équiper des camions. De placer le container, de l’alimenter, d’en vérifier la bonne marche… Elle employait une centaine d’ouvriers… Le propriétaire avait 90 ans… Pas de fils mais des filles dont un des gendres avait finalement accepté de vendre son usine, contre un petit pactole à un groupe anglais qui faisait le même genre de container en Irlande… Ce que ne savait pas le gendre, c’est que le groupe anglais avait été racheté par des banques anglaises et taiwanaises. Il l’aurait su, ça n’aurait pas changé grand chose, sauf dans sa manière de faire passer la pilule aux ouvriers… L’usine lorraine a mis cinq années avant de fermer. On a proposé à Gilles un boulot de routier en Alsace mais il ne voulait pas quitter sa famille et était vraiment spécialisé dans la chaîne du froid… Faire chauffeur ne le branchait pas trop. Quitter sa femme et ses mômes, non plus… On peut dire que c’est son tort ou sa liberté… Gilles est resté chez lui, a pointé à l’ANPE, a fait des petits boulots en intérim. Et puis, la femme de Gilles s’est barrée. Et puis Gilles a picolé (un peu, pas trop, pas comme tous les mecs qui traînent dans la rue). Et puis, la femme de Gilles a retrouvé un mec qui s’est occupé de ses enfants à lui. Et puis Gilles est parti et s’est retrouvé dans la rue avec un RMI. Il ne votera pas aux prochaines élections.

Cet été, j’étais dans le sud ouest. J’avais loué une maison. Un copain est venu me voir avec son beau père qui possédait un bateau dans le coin. Un petit yacht, en réalité. Le beau père était insupportable. Frimeur, vantard, n’écoutant personne, imbu de lui-même. Une calamité. Mais comme mon pote était mon pote et qu’il avait une femme à laquelle il tenait, je n’ai rien dit. J’ai laissé mes filles aller faire un tour de yacht. Elles sont revenues ravies. Comme je n‘avais rien d’autres à faire à leur retour, j’ai écouté ce que disait le beau-père. C’était vraiment intéressant. Le fond de son discours tenait en ces quelques mots : « J’en ai eu marre de filer mon argent aux impôts »… Il essayait ainsi de justifier sa vie de pacha et sa retraite anticipée à 52 ans. Vente de ses usines à des fonds de pension puis investissement dans la pierre. Il est aujourd’hui rentier, fait dans l’immobilier de bureau et dans l’investissement off shore. Il ne paie pas l’ISF mais possède appartement à Londres, Ferrari, Jaguar et villa près de saint Trop. Sous l’identité de ses fils, de sa femme, ou d’une société civile immobilière dont les actionnaires majoritaires sont des prête-noms. Il votera Lepen au first et Sarko au second.

Un troisième personnage importe dans ma démonstration. Malcolm travaillait chez Deloitte and Touch, gros cabinet d’audit avant de se mettre à son compte avec deux amis. Il est gestionnaire de fortune. Son père est dirigeant d’une grande chaîne hôtelière. Malcolm est homo et mène une double-vie. Costard trois pièces le jour, folle la nuit. Il a voulu voter Jack, mais finalement va choisir Ségo. Il est français, vit entre Zurich, Reims, Paris et le Luxembourg. Il aide ses clients à défiscaliser. « Mais attention, tout est légal » jure-t-il chaque fois que je le vois. Je l’ai vu souvent lors de mon enquête sur Clearstream. C’est l’ami d’une amie. Avec lui, j’ai mieux assimilé certains raffinements de la machine à transférer et à dissimuler les investissements. Il utilise Swift, Euroclear et surtout Clearstream où sa société est co-propriétaire d’un compte depuis longtemps pour de nombreux placements off shore. Le compte est au nom d’une banque d’affaires suisse. Malcolm jongle avec les comptes, les écrans et les intermédiaires comme Zidane avec un ballon, sauf que lui ne craint pas Materrazzi. Il ne craint rien, sauf sa conscience qui parfois le rattrape. Il n’a pas le permis, connaît Paris Hilton et quelques jetseters qui sont parfois dans Voici. Il se moque d’eux. Il a tort. Il est pareil. Il jure qu’il arrêtera de bosser dans cinq ans. Ça fait dix ans qu’il le dit.

Pour mettre Gilles sur la paille, il a fallu des circonstances, des outils, une chaîne de responsabilité. Il a fallu un beau père et un Malcolm. Un environnement. Une politique globale. Je pourrais faire des schémas pour expliquer, être plus global et plus précis. L’argent volé est toujours volé quelque part et par quelqu’un. Il faut un voleur, un receleur et des outils de banquier off shore pour réaliser ce pillage en règle. Aucun politique n’aborde ces questions. Jamais. Ils préfèrent aller serrer la louche à Juncker…
Denis Robert

3.10.06




Le 5 octobre, trois sorties pour Denis :

- le DVD de l'intégrale de ses films
(image ci contre/chez BAC Films)

- Mémoires d'un rat,
au cœur de l'affaire Villemin
(article+préface plus bas/éd.Hugo doc)

- Dominations, ou l'art du combat
(article+extraits plus bas/éd.Hugo doc)


2.10.06

POUR SIGNER > CLIQUEZ ICI

* ERRATUM DATES PROCÈS : Le 14 et 15 décembre.

1.10.06

Dix ans…
L
e 1er octobre 1996, Genève et son université. Une longue table avec sept magistrats alignés. Nous étions contents d’avoir mené cette histoire à son terme. Je me souviens des sourires d’Isabelle Solal, l’attachée de presse et de Laurent Beccaria, alors éditeur chez Stock, devant la liste des journalistes voulant une accréditation qui ne cessait de s’allonger. L’initiative était privée, la maison d’édition invitait. Mon dernier livre (1), avait fait un carton et le suivant était lancé ce jour-là. A aucun moment un gouvernement, un Parlement ou une Commission, fut-elle européenne, ne s’en étaient mêlés. On nous prenait alors avec des pincettes. Des esprits peu éclairés craignaient une République des juges. On nous reprochait de vouloir faire du commerce avec des idées… Votre appel de Genève, c’est de la bonne publicité, non ? Les piles de livres bleus, posées à l’entrée de la salle, diminuaient à mesure que les gens entraient et sortaient. Sept longs entretiens, une préface, quelques réflexions… Un appel lancé à la face du monde et des hommes politiques, tous autistes au malaise ambiant. Le titre du bouquin La justice ou le chaos sonnait comme un ultimatum. Il suggérait l’idée que sans justice, et plus particulièrement sans justice financière, nos sociétés occidentales allaient entrer dans une période de dérèglement général pouvant mener à la barbarie.


L’appel de Genève a produit un sacré coup de tonnerre. Chaque année, telle une bombe douce à déflagration imprévisible, on en célèbre l’anniversaire. Il y a eu des tas d’appels suite au nôtre. Appels des putes, des petits maires, des économistes anti-libéraux, des téléspectateurs en colère.... Il y a même eu un contre-appel de Genève à l’initiative de tous ces avocats parisiens qui défendaient alors le portefeuille de leurs clients inculpés dans des affaires de corruption (2). La Compagnie générale des Eaux, la Lyonnaise, la Cogédim ou Alcatel faisaient les titres des journaux… Ces sociétés utilisaient des intermédiaires comme Michel Reyt, Gérard Monate, Jean Claude Méry, ou Michel et Chantal Pacary qui aidaient à financer les partis via d’obscurs réseaux internationaux. Lampistes parmi les lampistes… Qui s’en souvient? Comme dans la novlangue de George Orwell, les sigles et le nom des hommes rappelant cette sale époque sont en voie d’effacement. Le RPR, le PR, le CDS, tous ces partis impliqués dans les scandales d’alors semblent avoir disparu du vocabulaire. Leurs leaders, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Pierre Méhaignerie, Gérard Longuet ou François Bayrou pour en citer quelques uns, on pris ou vont tenter prendre le pouvoir sous de nouvelles bannières. En face, le parti socialiste n’était pas non plus un modèle de vertu et de compréhension du phénomène d’émancipation judiciaire. Jean Pierre Destrade, Gérard Peybernes, Henri Emmanuelli, Pierre Moscovici… Autant d’intermédiaires ou de trésoriers de partis empêtrés dans ce qui faisait le quotidien des journaux… Ce passé-là à été comme gommé. Le RPR c’était quoi ? Un groupe de rap ? L’appel de Genève vient de cette époque troublée.

Les juges avaient le tort de vouloir comprendre qui achetait les décisions politiques, qui donnait les autorisations dans les partis, qui se cachaient derrière les fiduciaires suisses ou les off shore panaméennes? On les en empêchaient. L’appareil judiciaire les muselaient. Les commissions rogatoires internationales, quand elles étaient lancées, mettaient un temps fou à revenir. Parfois deux années avec la Suisse, beaucoup plus avec d’autres pays. Les recours incessants tuaient les procédures. Les corrupteurs habiles utilisant les bons réseaux ne pouvaient pas être inquiétés. Partout en Europe, les mêmes blocages sabordaient les efforts des rares magistrats qui croyaient encore un peu à une égalité de traitement face à la justice. Dès qu’un circuit financier passait une frontière, l’affaire était pliée. Quand il empruntait un paradis fiscal, ce n’était même plus la peine d’y penser. Le problème posé devenait crucial… La politique était discréditée, la justice gadgétisée, les démocraties montraient d’inquiétants signes de porosité et de dérives. Rien n’avançait. L’appel de Genève allait lancer une mode. Les grands débuts de la citoyenneté. On ne savait pas. Dix ans déjà. Autant dire, une petite éternité.


Le Parlement européen s’apprête à célébrer cet anniversaire. Malgré mon implication dans cette initiative, je n’ai pas été convié à la fête. Les affaires Clearstream sont sans doute venues brouiller les cartes. Déjà, à l’époque de l’appel, ma parole, plus libre que celle des magistrats, incommodait certains édiles. Je m’exprimais dans un français correct mais on me reprochait d’y aller trop fort dans mes mises en cause. On expliquait que des types comme moi, trop pressés à mettre en cause les Institutions et leurs garants, faisaient grimper le Front national. Je ne jouais pas le jeu des médias. On craignait que j’aille trop loin dans l’interprétation politique et économique du phénomène dénoncé par l’appel. Globalement, la France était un pays corrompu, mais il ne fallait pas l’exprimer ainsi. L’histoire et les annales judiciaires m’ont tristement donné raison. Je n’ai aucune amertume, aucun regret. Je suis sans doute plus lucide aujourd’hui que je ne l’étais alors. Je n’ai jamais cessé de chercher des solutions aux problèmes posés par l’appel de Genève. J’aurais pu m’engager en politique, on m’y a souvent invité. J’aurais pu me policer pour entrer dans le moule médiatique. J’aurais pu laisser tomber. J’ai choisi une autre voie.


Le 30 septembre 1996, le scepticisme était total. La presse française avait été lente à réagir, puis s’y était mise. CNN avait parlé de notre initiative, les médias russes et japonais également, des journaux suisses, belges et italiens avaient fait leur manchette sur l’événement. Des juges européens s’élèvent contre la corruption… On avait même eu droit à une Marche du siècle spéciale. Jean Marie Cavada n’était pas encore député européen (3). Il doit se souvenir de notre engueulade quand il a appris que les juges passaient quelques jours avant son émission au vingt heures de France 2 et brisait son exclusivité… Sur l’estrade de l’université, juste avant de se lancer, pour calmer les esprits, Renaud Van Ruymbeke s’était mis au piano. Rachmaninov, je crois. On écoutait bouche bée.


J’avais fait le forcing pour trouver un juge luxembourgeois d’accord pour signer l’appel, j’avais presque réussi à en convaincre un mais finalement il avait renoncé. La peur d’être mal vu dans son petit Duché. Les magistrats allemands ne se bousculaient pas au portillon, leur pays était, paraît-il, épargné par les phénomènes de corruption. L’affaire récente de corruption chez Ikéa ou les mises en cause incessantes du chancelier Kohl : on voit ce qu’il en est advenu... Il n’y avait pas de magistrats anglais parce que le système judicaire britannique est trop différent des nôtres. Londres est quasiment devenu un centre off shore, trop inaccessible aux juges étrangers.


Bertossa et Van Ruymbeke avait été les plus assidus et les plus motivés. Ils ont lancé le mouvement. Plus exactement Van Ruymbeke a dit oui à partir du moment où Bertossa y allait… Les deux magistrats travaillaient déjà ensemble et aucun ne voulait d’une initiative individuelle. L’appel de Genève devait être collectif ou ne pas être. Eric Halphen avait refusé de signer l’appel parce qu’à l’époque, il craignait qu’une apparition trop publique puisse nuire à son instruction sur les réseaux Chirac. Il pensait encore pouvoir coincer le patron du RPR et de la mairie de Paris... Le procureur général espagnol Jimenez avait été particulièrement pénible, ralentissement le mouvement en voulant chaque fois ajouter des conditionnels. On lui avait poliment mis le marché en main : Monsieur le Procureur, où vous signez ou on vous vire… Il avait fini par signer… Baltasar Garzon, le juge d’instruction madrilène qui plus tard coincera Pinochet, avait été parfait allant très loin dans la mise en cause des hommes politiques espagnols et d’un système mafieux et criminogène. C’était la première fois qu’il accordait une interview à un journaliste. On était en pleine affaire Mani Pulite en Italie… Les juges Italiens avaient de l’avance sur les autres… Berlusconi n’avait pas encore pris le pouvoir, Mitterrand venait de mourir, Michel Debré aussi. Clinton était le président américain, il y avait eu un attentat aux jeux olympiques d’Atlanta. Personne ne parlait d’Al Qaeda et le financement du terrorisme était le dernier souci de l’administration américaine. Il l’est toujours.


La version finale de l’appel de Genève a été très délicate à rédiger. J’avais commencé à écrire en mars 1996 à Rennes. J’ai expédié le texte final aux sept signataires fin août à mon retour de Milan. Après des dizaines d’aller-retours de fax avec surtout l’Espagne et l’Italie... Il fallait chaque fois traduire et retraduire. A l’époque, on n’échangeait aucun mail. Contrairement à leurs « clients » qui viraient déjà leurs subsides grâce à leurs computer, aucun juge ne se servait d’un ordinateur pour communiquer. Colombo et Bruti Liberati, les magistrats italiens étaient les plus lents à réagir car les plus occupés sur le terrain et Benoit Dejemeppe le procureur du Roi de Bruxelles voulait toujours qu’on ajoute des articles difficilement compréhensibles sur la fiscalité. Au début on avait appelé notre projet « charte judiciaire européenne» et il faisait une vingtaine de pages. On l’a beaucoup coupé, alignant une trentaine de versions avant de parvenir au plus petit dénominateur commun. Une page de 5000 signes environ. Le cri d’alarme d’une poignée de magistrats citoyens… Ils seront très vite rejoints par des milliers d’autres. En France, un magistrat sur deux a fini par signer cet appel. En Belgique aussi… En Italie, en Suisse et en Espagne, un peu moins. C’est dans ces moments-là que Van Ruymbeke a gagné ces galons de juge le plus indépendant, voire le plus irréprochable du pays… Bertossa est sorti de son anonymat tranquille, a été invité à des centaines de conférences un peu partout, est devenu, à son corps défendant, une vedette des médias… Garzon a lui aussi pris une dimension internationale…


Tous ces juges souffraient en silence du même mal. Ils étaient armés pour coincer les voleurs de poule, mais incapables d’inquiéter les voleurs de foule. L’appel partait de cet insupportable constat.


Il commençait par ces mots : Conseil de l'Europe, traité de Rome, accords de Schengen, traité de Maastricht: pas à pas, l'Europe se construit. A l'ombre de cette Europe en construction visible, officielle et respectable, se cache une autre Europe, plus discrète, moins avouable. C'est l'Europe des paradis fiscaux qui prospère sans vergogne grâce aux capitaux auxquels elle prête un refuge complaisant. C'est aussi l'Europe des places financières et des établissements bancaires, où le secret est trop souvent un alibi et un paravent. Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l'argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses…


Chacun avait lu un paragraphe dans sa langue. C’était très émouvant. Bertossa avait démarré. Van Ruymbeke avait suivi…Les circuits occultes empruntés par les organisations délinquantes et criminelles, se développent en même temps qu'explosent les échanges financiers internationaux et que les entreprises multiplient leurs activités et transfèrent leurs sièges au delà des frontières nationales. Certaines personnalités et certains partis politiques ont eux-mêmes, à diverses occasions, profité de ces circuits. Par ailleurs, les autorités politiques se révèlent incapables de s'attaquer, nettement et efficacement, à cette Europe de l'ombre.


Le public, environ deux cent personnes, sentait bien qu’un petit bout d’histoire s’écrivait là devant eux. L’heure était grave. Nous étions une majorité à vouloir être plus vindicatif à l’égard des politiques et des hiérarques judiciaires mais une minorité nous a poussés à mettre des bémols. Le passage lu par Garzon résonne brutalement aujourd’hui: A l'heure des réseaux informatiques d'Internet, du modem et du fax, l'argent d'origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d'un compte à l'autre, d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés off shore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hors de tout contrôle. L'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront nécessaires à la Justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s'avèrera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d'une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux.


Les sept magistrats de l’appel de Genève demandaient, face à la nécessité de justice, la création d’un espace judiciaire européen visant à la libre circulation des informations entre juges de pays différents. Ils demandaient aussi la levée du secret bancaire dans le cadre de leurs instructions. (4)


Les jours qui ont suivi ont été mouvementés. Un haut fonctionnaire européen, dirigeant de l’Olaf (office de lutte anti-fraude dépendant de la Commission européenne) a dit : C’est bien beau votre truc, c’est une belle idée sur le papier mais après pour la mettre en place il faut se cogner le boulot avec les chancelleries et là c’est pas de la tarte… Vous avez dix ans d’avance… et encore quand je dis dix ans, je suis juste… Une caméra était là qui a tout enregistré. Je tournais alors « Journal intime des affaires en cours » avec Philippe Harel. Dix ans. Ça y est. On y est.


Le lendemain, un dîner en petit comité avec les juges et quelques intimes de la maison d’édition était organisé sur les Champs Elysée. Edwy Plénel, alors rédacteur en chef au Monde, avait fait des pieds et des mains pour être invité. Il voulait à tout prix être présenté à ces nouvelles stars de la magistrature. A la fin du repas, ils avaient bêtement décidé de porter un toast pour me remercier. Plénel obligé de se lever et de m’applaudir. C’était sans doute un supplice pour lui. (5)


On va nous refaire, une décennie plus tard, à Bruxelles comme à Strasbourg, le coup du verre à moitié plein. L’appel a eu des effets positifs même si…


Grâce à l’appel de Genève, il s’est en effet créé un mandat d’arrêt européen ou cette structure imaginée par les politiques Eurojust, embryon de justice européenne. Grâce à l’appel, le Gafi a vu le jour et nous délivre à intervalle régulier le hit parade (inutile au fond) des pays les plus pourris de la planète. Attac ou l’association Transparency International ont relayé certaines de nos idées. Bien sûr, mais…


Dans la série d’entretiens avec les magistrats qui avaient donné la matière première de l’appel de Genève, Garzon, comparait la justice de son pays à un mammouth et les criminels financiers à des léopards (6). Pour lui, la justice était lente et lourde comme ces vieux mammouths. Le léopard bondit, file, se repaît et se repose. Le mammouth s’essouffle, se croit le plus fort, sait qu’il va crever et cherche sans doute à se convaincre du contraire. La mort du mammouth, s’il ne parvient pas à s’adapter, paraît inéluctable.


Nous devons aujourd’hui, dix ans après Genève, nous interroger sans chercher à biaiser : Y a-t-il une justice européenne ? Les criminels financiers sont-ils moins en sécurité ? Les juges communiquent-ils mieux entre eux ? La part d’argent noir est-elle en diminution? Fabrique-t-on moins de pauvreté dans nos pays développés ? Toutes ces questions sont intimement liées. A chacune d’elle, la simple perception du réel contraint de répondre sans aucune hésitation par la négative.


En dehors de quelques améliorations minimes dans la transmission des commissions rogatoires internationales qui tiennent surtout aux rapports personnels entre magistrats, aucun satisfecit n’est possible.


Les commissions rogatoires internationales (CRI) restent, du fait d’une absence d’harmonisation des législations et des blocages politiques, très difficiles à exécuter… Lorsqu’un juge envoie une CRI à un pays qui n’est pas membre de l’Union européenne, le constat est encore plus accablant. En l’absence de convention de coopération entre les pays, toute procédure est vouée à l’échec.


Pendant l’affaire Mani Pulite en Italie dont les scories continuent à agiter la vie politique italienne aujourd’hui, sur 500 commissions rogatoires internationales, la moitié ne sont jamais revenues. Les autres, à de rares exceptions près, ont mis cinq ans. Quand Berlusconi est arrivé au pouvoir, une des premières mesures votées par son Parlement pour bloquer les enquêtes a été de rendre encore plus difficiles l’utilisation des CRI. La loi Berlusconi a même été votée avec application rétroactive… Dans les affaires de prises d’otages, l’Espagne n’est jamais parvenus à faire passer des CRI vers des pays « amis » comme le Brésil, la Colombie ou le Pérou… Même pour les affaires de dopage et des réseaux financiers qui les sous-tendent, l’Europe judiciaire patine car il faut trouver ce que les juristes appellent des « réciprocités d’incrimination » entre pays. Allemagne, France, Hollande, Belgique… Chacun a sa définition du dopage, de la fraude fiscale ou du blanchiment… Dans les affaires secouant le football, dès qu’un transfert passe par Jersey ou Luxembourg, rien en sort… Pour les trafics de drogue, on retrouve souvent des sociétés inscrites à Gibraltar. Les CRI sont donc envoyés en Angleterre qui ne les exécutent jamais… Quand l’intérêt de l’Etat ou de sociétés amies est en jeu, la France est un très mauvaise élève. Dans les pots de vin mettant en cause l’avionneur Dassault par exemple, la Belgique attend toujours les retours de ses CRI… L’Angleterre a les îles anglo-normandes et Gibraltar. La France a Monaco où le parquet monégasque met beaucoup de mauvaise volonté à exécuter les ordres venus de l’étranger. L’Autriche ne coopère pas davantage. L’Irlande encore moins. En Suisse, depuis que Bertossa n’est plus procureur général, la situation s’est compliquée. Dans les autres cantons, c’est encore plus désastreux. L’affaire Elf n’a livré qu’une infime part de ses secrets et on ne sait toujours rien des bénéficiaires des commissions liées aux frégates de Taiwan… Dans la récente affaire du corbeau mettant en cause Nicolas Sarkozy, la sortie médiatique du patron de l’UMP s’inquiétant de la lenteur des retours de CRI le concernant… 14 mois, vous vous rendez compte !… était ubuesque. Si son parti avait œuvré pour faire passer les idées de l’appel de Genève, les manipulations du corbeau n’auraient jamais eu de prise.


Un nouveau phénomène émerge depuis quelques années : la fatigue, la démission ou la mise en disponibilité de nombreux magistrats chargés d’affaires financières en Europe.


La justice européenne n’existe pas. C’est vrai pour Bruxelles mais aussi pour chacun des pays membres de l’Union européenne. Elle est au mieux un sujet d’embarras pour les députés ou les ministres de la justice et des affaires étrangères. Elle est le dernier souci des eurodéputés et des présidents de commissions. Elle ne sert, à intervalle régulier, qu’à des effets d’annonce (7).


Pendant que les juges instruisaient ou se mettaient en disponibilité (Eric Halphen, Eva Joly ou Di Pietro en Italie et tous les autres), j’ai tenté de poursuivre le travail initié par l’appel de Genève. Loin des journaux, dans des livres ou des films (8). Toujours avec Laurent Beccaria, mais aussi avec Pascal Lorent. Nous avons cherché à comprendre le parcours de l’argent. Est-il utile d’envoyer une CRI dans chacun des pays traversés par un virement pour suivre sa trace ? Quelle trace laissent ces virements ? Où passent-t-ils? Peut-on suivre seconde après seconde un transfert de valeurs ? Je suis parti de ces questions. J’ai découvert les mutations de l’argent, le commerce des obligations, la mécanique des investissements off shore, les monopoles dans le transfert des valeurs, la traçabilité totale des échanges transfrontaliers, l’utilisation d’outils informatiques communs à toutes les banques, les sociétés de routing financiers, l’existence puis el fonctionnement de société comme Swift, Euroclear et Clearstream…


C’est là que les événement se sont compliqués pour nous.


Dès 2001, avec Révélation$ puis l’année suivante avec la Boîte noire (9), nous avons mis à jour un outil essentiel dans la dissimulation des transactions internationales. Les chambres de compensation. En particulier Clearstream. Ses clients, banques respectables avec filiales à Cayman ou à Vanuatu, multinationales ou sociétés off shore, s’en servent pour fabriquer quotidiennement ce que dénonçait l’appel de Genève. Cette gigantesque évasion de capitaux. Je ne suis pas sur le terrain du blanchiment ou du noircissement d’argent, je reste sur celui de la dissimulation. Les clients de Clearstream se servent de cet outil informatique pour dissimuler leurs transactions. La firme, je l’ai constaté avec les procès qu’ils me font, ne nient même plus cette possibilité de dissimulation, elle indique qu’elle ne peut tout contrôler et rejette sa responsabilité sur ses clients et sur les politiques…


Mon enquête sur Clearstream a montré que jamais les investissements dans les paradis fiscaux ne se sont mieux portés. L’argent y file en dehors de tout contrôle… Le système est tellement rôdé, tellement efficace… J’ai fini par comprendre que les paradis fiscaux étaient des leurres, que lutter contre eux étaient complètement illusoires. En ce sens, les militants altermondialistes se sont beaucoup trompés. A de rares exceptions près, ils se trompent encore. La taxe Tobin est une vieille lune… Manifester avec des pancartes à Andore, Jersey ou Luxembourg, ne sert à rien… Le seul combat qui vaudrait la peine aujourd’hui de mener serait celui visant au contrôle indépendant des outils permettant les transferts de capitaux. Des outils comme Clearstream, Euroclear ou Swift.


A l’heure ou les eurodéputés et la Commission de Bruxelles vont sans doute féliciter les juges pour leur courage et leur pugnacité, je voudrais rappeler qu’en 2002, une petite centaine d’eurodéputés de tous pays avaient essayé de lancer une commission d’enquête européenne sur Clearstream. Elle seule aurait pu disposer de moyens coercitifs envers les dirigeants de la firme. La président de la commission en charge de la fiscalité et du marché intérieur va la rejeter au motif que le Luxembourg, siège de Clearstream, est un pays souverain. Il s’appelait Frits Bolkestein. La Commission n’a aucune raison de penser que les autorités luxembourgeoises n’interviennent pas avec rigueur pour que le système financier luxembourgeois applique efficacement les mesures de lutte contre la criminalité financière, a écrit en substance la fonctionnaire hollandais qui plus tard se rendra célèbre grâce à sa directive. On sait aujourd’hui qu’il était un des dirigeants de la compagnie pétrolière Shell et membre de la commission de surveillance de la banque russe Menatep, deux très bons clients de la firme luxembourgeoise, disposant de nombreux comptes pour la plupart non publiés (10).


On me demande souvent ce qu’on pourrait faire pour améliorer les choses… Une commission d’enquête européenne serait la première étape et le seul moyen efficace de prévenir le mal et de freiner ces évasions de capitaux qui appauvrissent les Etats et enrichissent les prédateurs. Ce n’est même plus une question d’hommes, de gentils et de méchants... Les outils informatiques opérant dans chaque transaction ont pris le pas sur les volontés humaines. La chaîne de déresponsabilisation est telle que plus personne ne parvient à penser global. Le système, l’organe, génère sa propre logique. L’arrêter ou le repenser est devenu très compliqué.


Pendant que les trillions d’euros affluent, grâce à Clearstream, Swift ou Euroclear vers Jersey, Luxembourg ou Nauru, le nombre de personnes vivant en France avec moins de 800 euros par mois a dépassé les dix millions (11)… Ne croyez pas les statistiques gouvernementales, traînez dans les foyers de travailleurs et les hôtels sociaux… La plupart de ces fantômes de la République sont caissières à Auchan, intérimaires ou intermittents… Ils nourrissent la machine économique… Les services publics trinquent… Je m’éloigne ? Non … L’argent volé, défiscalisé, est rarement réinvesti dans l’outil économique. Ou alors si mal, dans le seul souci d’être blanchi ou rentable très vite. Quand il revient, via les outils évoqués plus haut, il se transforme en obligations ou en actions anonymes.


Nous assistons sans broncher à un véritable braquage de nos économies. Des ingénieurs financiers préparent leurs armes, leurs véhicules, creusent des tunnels informatiques… Une fois à destination, les lois des paradis fiscaux les protègent. Aidés par des complicités dans les banques, entraînés à se déplacer rapidement dans le désert judiciaire international, ils font entrer et sortir leurs gains dans le circuit sans être inquiétés. Jamais. Il existe des autoroutes de la finance et des itinéraires bis. Ils sont connus des initiés. J’en décris quelques-uns dans mes livres.


L’appel de Genève dénonçait à sa manière, dès le 1er octobre 1996, ce comportement politiquement irresponsable… L’argent des paradis fiscaux est placé hors de tout contrôle. L'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs.


Pendant le temps du transport, pendant l’inscription électronique des virements de comptes à comptes, les prédateurs financiers sont pourtant vulnérables. Des magistrats correctement formés et correctement informés peuvent les coincer. Pas avant, ni après.


Nous nageons depuis dix ans en pleine hypocrisie et la célébration de l’appel de Genève sera sans doute une sorte de sommet du genre. Le crime financier ne s’est jamais aussi bien porté. Les multinationales qui possèdent des comptes ou des banques dans Clearstream, n’ont jamais engrangé autant de bénéfices, les Etats n’ont jamais été aussi pauvres et endettés. Clearstream voit ses bénéfices augmenter d’au moins 15% chaque année (12).


Les juges n’ont jamais été aussi démunis. Les politiques aussi démobilisés sur ces sujets d’une gravité extrême.


Je me souviens avoir croisé Nicolas Sarkozy dans les coulisses d’une émission de télé (le vrai journal de Karl Zéro, paix à son âme…).

- C’est vous le type de l’appel de Genève, c’est une idée formidable…

Ni lui, ni les champions du parti socialiste, à l’exception notable d’Arnaud Montebourg et de Vincent Peillon, ne se sont jamais saisis de ces questions fondamentales. Ils s’inquiètent tous de cette mondialisation financière sans jamais avoir réfléchi une seconde aux outils incontrôlés permettant ces folies financières.


Ou s’ils y ont réfléchi, pourquoi ne font-ils rien ? Quel lobby, quelle inertie, quel pouvoir les empêchent d’agir ?


Le comble de l’absurdité et de l’imposture me concerne. Alors que je suis à l’origine de cet appel de Genève, que mes livres ont permis la révélation de ces scandales, je suis l’objet de plaintes à répétition de banques en France, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg… Dans ce dernier pays je suis inculpé pour diffamation. Des huissiers m’envoient des assignations et me réclame des sommes que je ne pourrai jamais payer pour avoir osé m’attaquer à la réputation d’une institution financière Clearstream, ou d’une banque comme la Banque Générale de Luxembourg (13). Cinq années que je traîne ces procès. Quand je gagne, il vont en appel, quand je gagne en appel, ils vont en cassation. Quand ils craignent de perdre en cassation, ils vont me poursuivre au Luxembourg… Je fais des interviews, on me poursuit en diffamation. Cet été, Clearstream a attaqué ce blog, a déposé des plaintes contre moi pour des entretiens dans la presse régionale ou des hebdos parisiens. On cherche évidemment à me faire taire. Mon dernier livre –celui qui sauve la mise à Sarkozy et révèle les manipulations du corbeau dans l’affaire Clearstream- a été retiré de la vente pendant les trois dernières semaines de juin sans que personne ne s’en émeuve.


Je ne me plains pas. Je constate.


Si on avait consacré un dixième des moyens judiciaires et policiers utilisés pour faire la lumière sur les manipulations entre Villepin, Chirac et Sarkozy à la véritable affaire Clearstream, on y verrait sans aucun doute plus clair aujourd’hui. Quelle tartufferie !


Cet été, dans l’assourdissant silence de l’affaire Clearstream 2 (la fausse, celle qui fait s’énerver les politiques), les plaintes ont donc reflué vers moi. La dernière a été déposée au tribunal civil à Luxembourg. Clearstream et ses avocats me réclament cent mille euros pour avoir porté atteinte à la réputation de la banque des banques dans mon dernier livre Clearstream, l’enquête (14). Tout cela va être jugé dans un pays qui bien que membre de l’Europe, reste le plus florissant paradis fiscal bancaire et surtout judiciaire d’Europe (15) Peu importe que je gagne ou que je perde, la procédure est lourde et chère.


Le paradoxe est que cette Europe judiciaire pour laquelle je me suis battu, si elle est parfaitement inefficace en matière de crime financier, fonctionne très bien quand il s’agit de me faire des procès ou de m’inculper pour diffamation.


Quand je servais de porte voix et de porte plume aux juges, il était plus difficile de m’attaquer frontalement. Garzon enseigne aujourd’hui aux USA. Dejemeppe est dans un placard à la cour de cassation de Bruxelles, Bertossa va diriger une juridiction d’appel en Suisse, Van Ruymbeke aussi à Paris, Jimenez est à la retraite, Colombo et Bruti Liberati ont été épuisés par le système Berlusconi… Quelques uns m’ont fait signe ces derniers jours pour m’exprimer leur soutien et leur amitié. Je les en remercie. Ils ont vieilli et ont changé de fonction, se demandent toujours quels relais trouver pour poursuivre leur combat. Ils sont comme les derniers des Mohicans. L’appel de Genève a été utile. Certes. C’était un joli prêche dans le désert politique d’une Europe où les prédateurs financiers semblent avoir gagné la partie. Une petite brèche dans le bel ordonnancement politique imaginé à Bruxelles.


Dix ans se sont écoulés. Bon anniversaire Messieurs.


Denis Robert, le 1er octobre 2006


(1) Pendant les affaires, les affaires continuent, Stock, 1996. Livre de poche, 1998.

(2) Troublant paradoxe, bel opportunisme, ce sont les mêmes avocats, plus des dizaines d’autres, qu’on a retrouvés en juin dernier en train de manifester au Palais de justice de Paris pour sauver le soldat Van Ruymbeke attaqué par le Garde des Sceaux dans l’affaire Clearstream…
(3) Député UDF, il est aujourd’hui le président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures au Parlement européen…
(4) Pour ceux qui voudraient approfondir les choses sur l’appel de Genève, Natacha Paris, un chercheur de l’Université Robert Schuman de Strasbourg a consacré une thèse très détaillée au sujet : « L’Appel de Genève : une mobilisation européenne de magistrats contre la criminalité organisée‚ et pour la mise en place d’un espace judiciaire pénal européen». Elle sera soutenue le 27 octobre 2006. Un article téléchargeable sur le site http://conflits.org vous en dira plus long…
(5) Dix ans plus tard, le même Plénel est allé cracher sa bile à mon égard dans le cabinet des juges d’instruction qui instruisent le dossier du corbeau de l’affaire Clearstream. Son procès-verbal, un sommet de délation, d’erreurs factuelles et de mesquinerie, est consultable sur le site du Nouvel Obs. http://permanent.nouvelobs.com. Je sais que je suis hors sujet et que je règle là un compte mais bon…
(6) La justice ou le chaos (Stock, 1996), page 235 et suivantes
(7) J’ai en mémoire un fameux colloque en 1998 à Avignon organisé par Elisabeth Guigou qui reprenait point par point les idées de l’appel. Toutes ses promesses… Du flanc. Strictement rien ne s’est passé ensuite.
(8) Un coffret dvd des documentaires sur Clearstream (entre autres) sort la semaine prochaine chez Bac films.
(9) Tous deux édités aux Arènes par Laurent Beccaria. C’est sans doute dans cet appel de Genève et dans ces rencontres avec les juges de Genève qu’il faut chercher notre détermination à plus tard nous lancer dans ce qui deviendra l’affaire Clearstream. http://www.arenes.fr/
(10) Pour s’en convaincre, voir l’interview du député hollandais Van Buitenen consultable dans les archives du journal 20 minutes : http://www.20minutes.fr
(11) Lire l’édifiant bouquin de Jacques Cotta « Sept millions de travailleurs pauvres, la face caché des temps modernes » (Fayard, 2006).
(12) Consultable dans les archives du site de l’Agefi : http://agefi.com/
(13) La banque russe Menatep, dont le principal dirigeant Mickael Khodorkowsky est aujourd’hui incarcéré a également été très active, multipliant les procédures dans tous les pays où les livres ou les films sont distribués
(14) Voir http://photos1.blogger.com/blogger/7317/2529/1600/dr1W.0.jpg
(15) Les Arènes-Julliard, juin 2006
(16) Et du monde si l’on considère le PNB par habitant.

Article à paraître dans Libération lundi 2 octobre 2006